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Cloudy au pays des Nuages
Cloudy au pays des Nuages
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19 février 2010

Portrait(s)

J’ai 30 ans. Avec mon mari, nous élevons nos 3 jeunes enfants. Mon mari travaille dur. Il est maçon. Il part tôt le matin, revient tard le soir et travaille souvent le week end. Il n’est pas rare qu’il fasse deux semaines en une.

Il y a deux ans de cela, nous avons réussi à acheter une maison. C’est pour cela qu’il travaille beaucoup.

Moi, je n’ai pas de qualification. J’ai arrêté au secondaire et puis j’ai très vite eu la première. J’ai accumulé des stages, il est vrai, pour me déterminer sur un secteur d’activité en particulier. Mais ça n’a rien donné.

Et puis il y a eu les enfants, ça rassurait mon mari que je reste à la maison pour m’occuper d’eux.

Depuis quelques temps, ça ne se passe très bien au travail de mon mari. Ils ont moins de chantiers. Alors, je me suis mise à faire des ménages et à travailler chez des particuliers. C’est compliqué, je n’ai pas le permis. Alors je passe beaucoup de temps dans les transports pour quelques heures travaillées, qui ne rapportent pas grand chose.

Et puis, il y a des horaires que je ne peux pas prendre, à cause des enfants. Ils sont petits encore et je ne veux pas déranger mon mari avec ça, même s’il a un peu plus de temps pour s’occuper d’eux. Les enfants, c’est mon affaire.

On m’a proposé des formations, on m’a dit que ce serait bien de penser à un nouveau projet professionnel qui tienne la route et dans lequel je pourrais m’épanouir. M’épanouir. Ce mot me fait rire. A l’intérieur seulement, car j’ai plutôt envie de pleurer en ce moment…

J’adorerais ça. Faire une formation. C’est un peu comme retourner à l’école. Je rêve de retourner à l’école. Je me rends compte que j’ai arrêté trop tôt. Je regrette un peu. Mais comment faire ? Sur qui se reposer ? Qui emmènera les enfants à l’école, qui ira les chercher, comment paiera-t-on la cantine ?

J’ai l’impression de devoir me résoudre à faire des ménages toute ma vie. Cette seule idée me rend dingue.

Ces gens condescendants, hautains qui vous regardent de haut pour nettoyer leur merde. Certains sont sympas, je ne les mets pas tous dans le même sac, mais tous ne se rendent pas compte de ce que c’est, la vraie vie quand tu trimes.

Je me tais, j’ai besoin de ce travail, il est devenu vital, pour nous, pour les enfants. J’endure parce que je ne veux pas qu’ils sachent à quel point c’est dur pour leur père et pour moi. Je veux les protéger de tout ça.

Jusqu’à quand courber le dos, supporter ? On me dit que le plus facile pour le moment, c’est ça, les ménages. C’est sûr, c’est un secteur qui n’est pas en crise. Sans qualification, sans permis, on me dit que c’est difficile de faire autre chose.

D’ailleurs, quand j’y pense, je me demande ce que je pourrais faire d’autre. C’est un peu comme si tout le monde me disait que je ne peux être bonne qu’à ça.

Mais merde j’ai 30 ans !!!

Et l’impression déjà que ma vie est fichue et que celle de mes gosses ne sera pas meilleure.

Alors quoi ?! 

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Commentaires
C
@ Five & MADmoiselle<br /> Après avoir écrit ce texte, j'ai découvert un papier dans le Nouvel Obs' sur l'expérience de Florence Aubenas, dans un "rôle" de travailleuse précaire. Saisissant.<br /> Sans comparaison bien sûr avec ce qui est écrit ici.<br /> Je ne lâche rien, je l'espère en tout cas.<br /> J'avais besoin de parler de ces femmes, de plus en plus nombreuses dans mon accompagnement, souvent étrangères et trop souvent oubliées. Parce qu'effectivement elles sont jeunes et que tout est jouable, lorsque l'on se sent écoutée, soutenue, aimée, considérée.
M
ces femmes...
M
Grrr, j'avais écrit un com' mais il n'a pas été pris en compte !<br /> <br /> Je disais que cette femme a 30 ans et que rien n'est figé.<br /> Il faut savoir bouger les choses voire prendre des risques--même si avec les enfants, ce n'est pas si facile--. Et puis vu que le mari a moins de travail, peut-être est-il temps qu'il prenne son rôle de père plus à bras le corps et qu'elle fasse sa formation ?
F
Comme à l'accoutumée, c'est beau, poignant, élaboré tout en se dissimulant humblement derrière une simplicité d'apparence. Dans la plus pure tradition du style Coudynien en somme.<br /> <br /> Reste que je suis assez surpris par ce post, enfin par la fin qui comme ce fut le cas pour Claire a particulièrement retenu mon attention.<br /> <br /> Malgré ta réponse en commentaire, on pourrait croire que tu crois au déterminisme social dans la grande majorité des cas. Mais où est donc passée la Cloudy que nous aimons tant, celle qui croit dur comme fer au contrat social, au pacte républicain et à l'égalité des chances non pas comme loi vérifiable et systématiquement applicable, mais comme ce principe vers lequel chacun de nous devrait tendre. Au lieu de mettre en exergue les faiblesses de notre système.<br /> <br /> Reviens dans le "positivisme" à la carrouf Cloudy, et reviens nous. J'aime quand tu fais dans le pathos, j'aime encore plus quand tu me fais rêver en portant tes idéaux.
C
Merci à tous 2 pour vos commentaires ici.<br /> Il s'agit du portrait croisé de plusieurs personnes que j'accompagne.<br /> Je te rejoins tout à fait Claire mais ces métiers sont peu valorisés et fatalement, ils impactent ceux qui les exercent.
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