Rage against the machine
Octobre
C’est le mois où il faut commencer à s’atteler au bilan d’activité. C’est à dire commencer à dresser le bilan des actions mises en place pendant l’année, commencer à faire une photographie du public accompagné sur l’année, choisir et détailler des « accompagnements » dits « significatifs » (c’est à dire longs, difficiles, ou plutôt positifs afin de montrer les écarts). Il est temps aussi de penser aux projets pour l’année à venir et rédiger ses propositions. Bref, une période riche, qui permet de lever un peu la date du guidon, de se confronter aux chiffres. Donc à une certaine réalité.
Mon public est essentiellement féminin. Des femmes d’une quarantaine d’année, qui travaillent sur deux ou trois secteurs d’activité en particulier : nettoyage industriel, emploi familial, secrétariat. Des personnes en grande difficulté sociale pour une grande part. Cette année, j’ai reçu un nombre assez impressionnant de personnes qui maîtrisent mal ou pas du tout la langue française et ces derniers mois d’autres profils, des cadres. En difficulté toute aussi grande que les autres « publics ».
Il existe de moins en moins d’actions dites de mobilisation, de dynamisation ou encore de formation. Tout devient plus pauvre, plus concentré, plus cher. Les listes d’attente sont interminables. Il faut par exemple, des mois pour obtenir des formations en langue française. Et sans maîtrise à minima de la langue, on a peu de chance de trouver un emploi.
Depuis quelques temps les contrôles sont de plus en plus drastiques. Contrôles emploi, contrôles sociaux (Caf, allocations diverses) et j’en passe. Les administrations ont pour objectifs de croiser les données pour faire la chasse aux fraudeurs. Tout cela me laisse sans voix aujourd’hui.
Les politiques d'emploi ont longtemps été anarchiques en France, menées au petit bonheur. Chaque gouvernement y allant de sa mesurette. Sans doute paie-t-on ces années d’inconstance. Il est question pour chacune de nos structures d’accompagnement vers l’emploi, dans les mois qui viennent, de « faire du chiffre » sous peine d’avoir des sanctions financières et donc de voir des postes sauter. Comment faire « ce chiffre » lorsque l’on accompagne les personnes les plus cassées et que le temps moyen pour une sortie emploi est de 24 mois ? Je me le demande…
Je saisis peu de choses de ce qui se vit sur les marchés aujourd’hui. Les mots crise et récession ont un effet des plus néfastes sur mon moral. Je m’en éloigne sciemment pour que le poids de cette morosité ne pèse pas plus encore sur moi et donc sur ma façon d’accompagner mes publics. Cependant, je me pose une question. Comment les gouvernements ont ils pu trouver de telles réserves d’argent, les débloquer si rapidement pour sauver des banques qui on agit en dépit du bon sens ? Cet argent existe bel et bien, il est mobilisable. Mais il ne l’est pas pour sortir les franges les plus touchées de la population, de la fange.
Encore une fois, oui, je reste sans voix et profondément en colère.