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Cloudy au pays des Nuages
Cloudy au pays des Nuages
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20 août 2008

D'eux

C’est calme, tellement calme.

Mes rendez-vous ne viennent pas.

Ils oublient, ou bien n’ont rien eu le temps de faire depuis notre dernière entrevue, donc viendront plus tard.

Si ma directrice savait…

Que je m’occupe diversement. Je réponds à mes mails perso, je me promène sur des blogs, je rends visite à des collègues mais pas trop (j’ai un rang à tenir), je range et re-range mon bureau.

Il me faut malgré tout mettre ma liste de suivi à jour.

Une liste longue d’hommes et de femmes, suivis depuis le début de l’année ou plus longtemps encore.

Quelques personnes que je n’ai vues qu’une seule fois, d’autres que je suis encore.

Des personnes qui ont trouvé un emploi, une formation ou qui ont renoncé.

Des jeunes (de moins de 30 ans), des plus âgés, des femmes proches de la retraite sans ressources.

Des personnes que je connais peu, avec lesquelles nous restons cantonnées à une certaine superficialité. On parle boulot, temps qu’il fait, rentrée.

Et d’autres, qui m’ont parfois laissée pénétrer dans une intimité.

Je suis toujours troublée par cela. L’autorisation qu’une personne vous donne d’entrer dans sa vie. Plus qu’elle ne le ferait parfois avec un ami ou un membre de sa famille.

Parmi eux, il y a par ordre d’apparition :

- Lui : Qui pendant longtemps dit avoir « abuser » des services sociaux, des aides diverses et variées. Aujourd’hui, il a trouvé un travail. Il compte y rester. « Pour donner un vrai sens à ma vie. Vous savez, je sais que je peux être utile ». Oui, je le sais. Et j’en suis même profondément persuadée.

- Elle : Qui termine bientôt sa formation, n’a plus aucuns droits. Elle vient pour me donner de ses nouvelles. Rapidement, elle passe sur le fait qu’elle est allée voir son assistante sociale cet été, pour avoir des bons alimentaires : « J’ai serré au maximum, mais j’ai besoin de manger quand même ». Elle a perdu beaucoup de poids « c’est la formation. Intense, tellement enrichissant ». Il reste l’examen final en septembre. « Je vais bientôt sortir la tête de l’eau, vous savez, je ne regrette pas » ; Elle a déjà une promesse d’embauche

- Elle : Son contrat se termine bientôt. Nous nous connaissons depuis plus de 3 ans. Il me semble que je fais partie des meubles, que je la porte depuis lors dans chacun des moments importants de sa vie. La recherche de formation, la formation, la recherche d’emploi, les crises existentielles, les difficultés personnelles, la déprime. Avec elle, j’ai tout traversé, pas toujours avec le recul et le professionnalisme nécessaires.

- Lui : Il est seul. Tellement seul. Un peu malade, fragile. Toujours, il trouve un poste seul. Mais ça ne va jamais, il ne peut pas rester. Il déjoue des complots, « on » lui veut du mal, il est menacé. Il a vécu la guerre dans son pays, indéniablement, il reste des traces profondes. Je sors lessivée de nos entretiens au cours desquels je dois toujours être vigilante quant aux propos que je tiens. Il applique à la lettre tout ce que je peux dire. Il me donne du « Madame Cloudy » à tour de bras, « Parfois, j’ai l’impression de n’avoir que vous ».

- Elle : Une force de la nature. Handicapée et magnifique. Magnifique de beauté intérieure, extérieure. Un sourire qui va droit au cœur. Un être merveilleux. Est-ce que je peux le dire et l’écrire ? Oui. Il y a des personnes qui vous illuminent. Elle en fait partie. Avec elle, j’ai parfois l’impression que les rôles se sont inversés. Elle croyait plus en moi que moi. Jamais elle n’a flanché, jamais elle n’a baissé les bras. Et LE poste elle l’a trouvé. Seule. « J’ai de la chance, vous ne trouvez pas ? ». Oui aujourd’hui et tu le mérites. Comment oublier ces longs mois allongée sur un lit d’hôpital, des mois de souffrance et de doute. Oui tu le mérites, amplement.

- Lui : Moins de 30 et pourtant, un visage et des bras marqués par la vie. La drogue, la boisson, « tous les excès possibles et imaginables » m’a-t-il dit. "Je dois vous le dire, je veux que vous sachiez, j’en ai besoin". Je le remercie de son honnêteté, de sa franchise à mon endroit et je suis touchée. Un Cv avec de grands vides. « Je dois construire. J’ai 29 ans. Vous vous rendez compte, 29 ans ?!!! J’ai autant d’expériences qu’un gamin qui sort du lycée ».

Il a toujours peur de me gêner, de prendre mon temps. « Si vous n’avez pas le temps de me voir, vous savez, c’est pas grave ». Quand je lui dit que j’ai le temps, que je le prends pour lui, que c’est mon travail, non ça ne m’ennuie pas et non je ne penserai jamais que sa vie est gâchée, il baisse les yeux. Comme un enfant.

Ce sont eux qui constituent « ma liste », mon travail, mon expérience et façonnent peut être un peu qui je deviens chaque jour.

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Commentaires
C
> Karleman<br /> Merci pour ton message, il me fait plaisir. Il y a tant à dire sur eux...
K
Ce texte me touche énormément. <br /> Il n'est pas que beau, il est plein de dignitées.
C
> Leunamme<br /> Pour moi plus qu'une idée, une réalité.<br /> La France d'en bas a des visages, des noms, il serait grand temps que nos politiques sans éthique se le rappellent à leurs mémoires (défaillantes).
L
J'aime bien cette idée que l'on se construit au contact des autres.<br /> En tout cas ce message est plein d'humanité, et aujourd'hui, il me semble que l'on en manque un peu.
C
> Kloelle<br /> J'évoque ici ceux qui se confient un peu, c'est le plus souvent lorsque l'accomapagnement "commence à s'installer".<br /> J'aimerai un jour constituer un groupe d'échnages des pratqiues multi disiplinaire, loindes institutions avec l'ensemble des partenaires du territoire. Un doux rêve...<br /> > Bertrand<br /> Merci à toi de t'être arrêté sur cette note :))
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