Mon accompagnement

Jeudi, je dois défendre des dossiers en instance. Je procède ainsi pour que mes publics basculent dans un autre dispositif et bénéficient d’actions plus importante mais aussi d’un accompagnement rapproché que je ne suis pas en mesure de proposer. Et je charge la mule. Et j’ai honte.

J’ai l’impression que pour que ces personnes aient plus de droits ou bénéficient plus facilement d’actions ou de prestations, je dois mettre le paquet. Sur les difficultés, les freins… En sortant, je me suis demandé ce que ces personnes penseraient de moi, si elles m’entendaient. Elles qui s’en remettent à moi pour la recherche d’emploi bien sur mais plus encore qui me livrent des pans de leur quotidien, de leur vie. Je me suis demandé comment moi je vivrais les choses si j’étais à leur place.

Je me suis trouvée une piètre conseillère, une mauvaise représentante. Tous mes dossiers ont été acceptés mais pourtant, je trouve que cela sonne toujours aussi faux.

Vendredi, j’ai en rendez vous une personne que j’accompagne sur une création d’activité. Il y a un moment que l’on tourne autour de plusieurs projets, que l’une et l’autre nous tâtonnons. J’ai d’ailleurs l’impression d’avancer à vue avec elle… Un rendez-vous avec une association qui accompagne à la création d’activité et voilà que les choses se débloquent.

Mme a changé physiquement, elle est plus épanouie, rayonnante. Elle y croit puisque nous sommes plusieurs autour d’elles à valider son projet, à l’encourager à avancer dans cette voie. Elle me remercie. C’est moi qui ai rendu son projet possible, moi qui l’ai mise en contact avec les bonnes personnes. Bien sûr que non, je lui explique que je n’ai fait que mon travail. Mais elle insiste. Alors je prend pour moi cette vague de compliments et je savoure cet instant, un peu rougissante, un peu contente aussi (mais pas trop…).

L’après midi, un monsieur. Une personne qui me trouble par sa ténacité, par son regard sur les choses, sur le monde. Arrivé en 1999, ses papiers en main, il a immédiatement trouvé un travail. Bien loin de ses aspirations, mais « il faut faire vivre la famille », aujourd’hui il travaille à plein temps et souhaite que je l’accompagne sur la construction d’un nouveau projet professionnel. Quelque chose de mieux.

Il reprend des cours, a plein de projets en tête. Loin, très loin de la réalité du marché du travail malheureusement. Il se mange des murs, se confronte à l’administration française, aux multiples possibilités de formations, néanmoins enfermantes car monsieur n’a pas le niveau. Qu’importe, à chacun de nos rendez-vous, il vient avec de nouvelles infos et souhaite que nous « parlions ».

Comme si mon avis, mon regard avaient une certaine importance. Pourquoi, je le traite ,lui, différemment des autres, pourquoi je débloque des rendez-vous en urgence lorsqu’il en a besoin, pourquoi je suis si troublée lorsqu’il garde ma main dans la sienne pour me dire au revoir et porte ensuite la main à son cœur, lorsqu'il me regarde de façon si appuyée… J’ai du mal à l’avouer, à me l’avouer.

Un autre élément auquel je n’ai jamais été confrontée et que je dois traiter rapidement aujourd’hui.

Je me demande toujours comment c’est possible. Comment on peut s’en remettre à moi, penser que je détiens une certaine vérité, que je peux donner le chemin à suivre. Bien souvent je suis en bute aux manque de moyens, par mon impossibilité à débloquer des fonds, à faire avancer un projet. Mais le simple fait de prendre en considération une demande, de l’écouter, de la prendre au sérieux sont probablement des éléments qui peuvent suffire parfois. Je l’espère en tout cas. Je n’en demeure pas moins toujours un peu émerveillée (moi la sauvage et l’asociale, hum) par la ressource de certaines personnes, par la beauté intérieure.

Chaque année est une année de plus dans mon accompagnement et dans ma connaissance de l’autre. Un bonheur (souvent).