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Cloudy au pays des Nuages
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18 novembre 2006

Lettre à R.

Je pense à toi. A nouveau, en ce samedi. Très probablement parce que cette semaine j’ai travaillé avec une personne qui te ressemble trait pour trait.

Enfin qui te ressemblait lorsque tu avais 20 ans.

Je crois que nous ne nous reverrons plus.

« J’édite » ici la lettre que j’ai écrite il y a quelques mois de cela et que je ne t’enverrai jamais.

Rétrospectivement, je me dis que je n’ai pas aimé cette époque, je crois même pouvoir dire que je l’ai détestée.

D’ailleurs, je n’aimais pas grand chose, c’est l’une des caractéristiques de l’adolescence semble-t-il : ma vie, mon corps, ma famille. Evidemment, je passe sous silence les rapports que j’entretenais avec les études, la société et le monde en général.

Pourtant, j’avais de grandes aspirations, de grands idéaux, comme beaucoup d’adolescents un peu rêveurs, un peu trop idéalistes.

C’est à cette période, aussi, que j’ai revêtu mon habit noir, cette couleur qui ne m’a que très rarement quittée depuis.

Avec le recul, je pense que j’étais un peu à côté, du monde, des gens. Impossible de me sentir bien quelque part, en retrait, toujours mal à l’aise. C’est sans doute pourquoi j’étais mal perçue, une fille un peu barrée, un peu « à part »…

Notre groupe s’est constitué à notre entrée en sixième. Je ne sais pas trop comment, je garde au fond assez peu de souvenirs de cette époque. Et il s’est peu a peu délité, à notre entrée en seconde. Nous étions à la fois tellement différents et tellement proches. Cette fêlure, nous l’avions tous.

Dans ce cocon là, pourtant si protecteur pour moi, si confortable, je me sentais paradoxalement encore à la marge. Moins intelligente, moins intéressante. Moins tout.

Il y avait les autres et puis toi.

C’est drôle de dire ça aujourd’hui, pourtant, cette sensation étrange a toujours été vivace, présente. J’ai souvent repensé à toi et tu es souvent venu me visiter en rêve. Comme pour me dire que tu étais là, proche, que tu allais bien. Oui étrange…

De toi, je garde des souvenirs prégnants.

Pascal, que tu lisais à 15 ans. Je trouvais ça magnifique de lire Pascal à cet âge, tellement romanesque, tellement grand. Bien plus grand que moi.

Il y avait aussi les doigts jaunis, par les cigarettes trop tôt fumées et en grande, trop grande quantité.

Ton parfum. Une odeur, que j’ai souvent recherchée sur d’autres. En vain.

Les fringues, les marques, un style, le tien, que je trouvais inimitable. Toujours des marques, toujours si bien choisies. 

La musique. Des groupes très tendance, dont je n’avais jamais entendu parlé, que tu écoutais en boucle et pour ça aussi, je te trouvais « spécial ».

Avec mes yeux d’adultes d’aujourd’hui, je dirai que je t’ai mis sur un piédestal, c’est certain.

Du plus loin que je me souvienne, je garde à l’esprit cette façon particulière que tu avais de t’exprimer, de te comporter. En plus d’être brillant, un peu lointain, tu semblais libre, probablement que beaucoup t’enviais pour cela.

J’ai en mémoire le visage de ces filles qui voulaient sortir avec toi, ces garçons que tu fréquentais alors. J’avais envie de leur crier que j’étais ton amie et je voulais qu’il le sache. Est ce que je l’ai été ? En tout cas, il me plaisait de le croire. Quelque part, cela me rendais fière d’être près de toi parfois, pour qu’ils voient... Comme une caution, comme pour prouver qu’une fille comme moi pouvait avoir un ami tel que toi.

Je garde aussi en tête, deux épisodes particuliers.

Le premier chez toi, un soir. Un soir de « trop ». Un soir de trop d’émotions, de trop d’alcool, de trop de choses qui font souffrir les adolescents. Je ne me rappelle plus très bien ce qui s’est dit mais je suis revenue chez moi pétrifiée par cette conscience et cette douleur qui se dégageaient de toi. Des sentiments que je n’avais jamais perçus auparavant, car tu ne te livrais pas. Cela m’avait frappée, atteinte et avait été impressionnant pour moi.

Je t’ai écrit une longue lettre pour te dire, en substance, que je serais toujours là. Je te l’ai remise un matin, dans une cour froide de lycée. Comme une sorte d’adieu…

Et puis, il y a eu cette autre fois où nous avons discuté de la guerre. Celle d’Irak, la première. Cette terrible réalité dans laquelle je tombais et qui me pétrifiait alors. Tu m’as rassurée, agacé, comme si cela ne pouvait pas être possible. Pas pour nous.

Un jour, tu m’as demandé si j’avais été amoureuse de toi.

Je sais que tu l’as longtemps pensé et je n’ai pas répondu.

C’était différent, plus fort. Tu étais mon ami, j’aurai voulu que tu sois un frère, peut être même mon âme sœur. Personne d’autre n’aurait pu tenir ce rôle.

C’est de cet amour là qu’il s’agissait.

C’est loin. Dix ans.

Aujourd’hui, je me demande si j’aurais le courage de t’aborder si nous devions nous croiser. Probablement que non. Je me sentirais encore trop petite à côté de toi.

J’ai appris que tu es parti, à l’étranger semble-t-il. Ta vie a été bien différente de la mienne, moi qui suis restée là.

J’aimerai savoir ce que tu es devenu. Où tu vis aujourd’hui, quel travail tu exerces, est-ce que tu as une famille, des enfants, comment vont tes parents, ton frère, est ce que tu es heureux.

Autant de questions, qui vraisemblablement resteront sans réponse.

Pourtant, si je devais te revoir aujourd’hui, j’aurais envie de te le dire :

« Oui (je t’aimais) ».

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