(Une) théorie de l'évolution
Je m’installe dans le grand bureau, je prends place en face d’elle. Je suis venue avec mes petites affaires, mon bloc note, mes stylos, mon dossier « entretien annuel » qui contient mon bilan et mes données qualitatives et quantitatives de l’année.
C’est le deuxième entretien. Celui qui s’est déroulé il y a plusieurs semaines de cela avec Vénérable Directrice s’est plutôt bien passé.
Avec elle, pas de préambule cette année, elle attaque dare dare, nous allons parler « évolution de carrière ». J’ai senti comme une sueur froide. Je n’ai pas préparé ce 2ème entretien, pas exactement sous cet angle, en tout cas. C’est une surprise, que je masque difficilement.
Je n’y comprends rien aux plans. Pour certains, je ne sais pas les lire, je m’avance à l’aveuglette, pour les autres, je ne les prévois pas et j’avance de la même façon, au feeling. Alors les plans de carrière…
Je suis incapable de me projeter au delà des deux mois qui viennent, deux mois sur lesquels je sais que j’ai une totale visibilité. LLa seule chose que je suis à peu près capable de prévoir, ce sont les vacances, mais il n’en n’est évidemment pas question ici.
L’entretien prend un virage gravement sérieux…
Bien sûr, il y a des formations, des thèmes qui m’intéressent, des projets que je souhaite monter. Certes. Mais ce n’est pas cela qu’elle attend de moi, la question tombe : où est ce que je me vois dans 2, 3 voire 4 ans ? Diantre, je ne sais toujours pas. C’est grave doc ?
Le terme évolution de carrière me fait un peu peur. D’un coup je me sens enfermée, ferrée. J’accompagne d’autres personnes dans leur évolution de carrière, je les guide vers des formations, mais j’avoue, je n’ai pensé à rien pour cette année. Alors elle a pensé pour moi (ça sert à ça les directeurs).
« Concours » me dit elle.
Sans doute ne le sait-elle pas mais je suis hermétique aux concours sous toutes leurs formes. Si. Ca me fait pas rêver des masses d’être fonctionnaire, surtout pas en ce moment. Je suis bien comme ça et puis elle valide mon passage en CDI pour l’année suivante.
Alors quoi ?
Actuellement, je n’ai pas d’autres ambitions, que de consolider ma pratique d’accompagnement, réfléchir à des thèmes qui me tiennent à cœur, notamment l’illettrisme dans l’emploi et l’interculturalité (suis vraiment pas chiante comme salariée).
Elle opine. Pas convaincue. Elle me demande de réfléchir, elle pense que j’ai les capacités, la carrure.
Ah bon ?
J’en parle un peu autour du moi. Et puis un drôle de truc germe en moi, commence à monter. Serais-je résignée ? Est ce que je manquerais (cruellement) d’ambitions ? C’est vrai, j’ai un peu de mal à me mettre en projet. Deux ans que ma cuisine attend une retouche de peinture (oui bon ça n’a rien à voir mais quand même), deux ans que je veux prendre des cours de religion, que je veux passer le 101 en analyse transactionnelle, que je veux militer. Mais rien, ça vient pô.
Faut il stagner un peu pour mieux avancer ? Là est la question…