Sous un ciel de septembre
Les rentrées sont sans doute identiques, chez les petits et chez les grands. Il y a la même attente, parfois l’angoisse, des questionnements certainement, peut être de l’impatience. On se retrouve autour de celui ou de celle qui est sensé nous guider, ouvrir pour nous une certaine voie. Ensemble nous devons construire quelque chose, cohabiter, avancer dans une direction dictée par des objectifs précis.
Ma rentrée s’est donc faite réellement ce 1er septembre.
Nous étions tous réunis fébrilement autour de Vénérable Directrice pour cette réunion de rentrée. Une réunion de 3 h, à l’ordre du jour dense. Très dense. Avec lui des annonces, des espoirs et de grandes déceptions. Des coupes budgétaires, des réorientations, des changements dans nos missions, une philosophie d’accompagnement de nos publics qui doit changer. Vénérable Directrice n’aura eu de cesse de nous rassurer quant à ces nouvelles orientations, mais nous ne sommes pas dupes. Echanges de regards furtifs, quelques demandes de précisions, de minces objections.
Nous savons désormais concrètement à quelle sauce nous serons mangés et surtout ce que cela va engendrer comme changements pour nos publics et pour nous. Baisse des subventions FSE (l’argent comme l’eau se tarit), le rapprochement ASSEDIC / ANPE, le rapprochement de notre structure avec l’agence pour l’emploi, un accompagnement que nous nommerons rapproché pour ne pas dire coercitif.
Car c’est de cela qu’il va s’agir très concrètement. Un alignement sur les pays de la zone Europe, les plus exigeants en matière de suivi. Il est question désormais, à plus ou moins long terme, de « traçage » des personnes dans les prestations.
Le 1er septembre, c’est aussi le jour où (cherry on the cake), je me suis retrouvée parachutée coordinatrice d’un projet pour lequel j’ai toujours montré des réticences. « Coordinatrice de projet », quelle vaste fumisterie que cette dénomination qui ne veut rien dire, n’a de sens que pour ceux qui ont mis mon nom au bas de documents « officiels », sans même m’avoir consultée en amont.
Le regard que je porte sur mon métier et la façon dont il s’exerce est désormais sans complaisance, loin de ma naïveté des débuts, teinté de colère et d’incompréhension. Car l’essentiel de mon temps est pris en rédaction de projets, en comptes rendus et évaluations qui ne sont lus qu’à l’interne, en temps de présence à des réunions diverses et variées au cours desquelles on ne prend pas de réelles et concrètes décisions et pour finir en blablatages stériles. Au détriment de l’accompagnement de nos publics.
Notre métier a 20 ans, il est né à l’ère du RMI (rappelez vous, cette mesure « transitoire »). Depuis lors, il évolue au rythme des politiques sociales et d’emploi, c’est à dire un peu dans tous les sens. Mais il reste précaire. C’est pour le moins ironique… Le turn over dans les structures est assez significatif de ce que nous vivons au quotidien, pourtant s’il l’on en juge par le nombres de sollicitations que nous avons chaque année, tout le monde « veut faire social ». C’est à n’y plus rien comprendre…
D’ailleurs, « social » en 2008, ne veut plus rien dire.
Aujourd’hui, plus que jamais, me semble-t-il, on fait entrer dans des cadres. On positionne à tire-larigot sur des prestations qui doivent conduire des personnes à aller sur des métiers « en tension ». Qu’importent le rythme, les aspirations profondes, les compétences et aussi les freins. Le maître mot, c’est « sortie positive ». Si seulement la réalité était aussi belle. Les sorties positives ne se gagnent pas si facilement. Ce sont des personnes cabossées que nous accompagnons. Pas des techniciens ou des cadres qui s‘adressent à d’autres structures qui ont plus de temps et un peu plus de moyens pour les accompagner et pour lesquels la case chômage est transitoire. Non. Des primo arrivants qui doivent bosser pour bouffer mais n’alignent pas 2 mots de français, des personnes avec des CV « à trous », pour ne pas parler de gouffres, des femmes étrangères qui vont travailler avec leurs enfants qu’elles ne peuvent pas faire garder qui ne comprennent pas qu’on les vire ensuite puisqu’elles SAVENT travailler.
J’ai un peu mal à tout ça. Mal de voir qu’il y a de moins en moins de formations, d’actions spécifiques pour des publics en difficulté, de programmes pour des personnes malades, d’accompagnement de personnes illettrées, de places en structures d’accueil d’urgence… Voilà.
Mais nous continuons à « prescrire », comme des médecins. D’éponger des souffrances, des colères, des blessures. Mus par je ne sais quelles croyances intérieures. Car aujourd’hui, si j’ai perdu quelques illusions, il m’en reste, des petites croyances intérieures. Ce sont elles qui chaque matin me donnent encore l’envie de me lever.
Je me demande jusqu’à quel point je pourrais continuer à les faire vivre en moi, jusqu’à quand je pourrais continuer à être l’exécutante de mesures iniques...